Sunday, Jan. 6th 2019
[ACAB = All Cops Are Bastards = Tous les flics sont des salauds, des porcs.]
Eh Henri ! Ça roule ?
En fait je sais pas si on peut se parler, parce que ACAB il paraît. Donc, ben, t'es un porc. En français, pis d'où on a grandi, on dirait plutôt que t'es un fils de pute ou un enculé, ou va niquer ta race ou ta mère, enfin tu vois. Mais de l'autre côté du périphérique, ça aime pas trop qu'on parle comme ça. C'est sale tu vois. Un peu comme les murs de nos immeubles ou les trottoirs défoncés de nos rues. Ce genre de saleté.
Nos années collège à Lenain de Tillemont, au milieu des cités ? Aucun intérêt. De toute façon on n'était pas censé devenir intéressant. Quand t'es né rien, tu finis rien, la plupart du temps. C'est la vie, tu fermes ta gueule et tu fais avec.
Je me rappelle ces rigolades en cours de français, à glander du mieux qu'on pouvait. Aucun intérêt.
Je me rappelle quand t'as chialé en troisième quand on t'a "orienté" parce que t'avais pas le niveau, espèce de fils de Portos. T'as fini en lycée technique et moi en général. Mais aucun intérêt.
Et ce jour, des années après, où j'entends mon nom dans le RER, à gare de Lyon, mon nom et pas mon prénom, on se parlait par noms, chais pas pourquoi, c'est comme ça. Je me retourne et je vois un mastar de condé ultra-fit avec, mais oui, ta tête de ptit gros d'Henri au sommet. Et l'amitié dans ton sourire, alors que moi avec ma dégaine chelou et mes cheveux longs de loser en formation, qu'est-ce que t'en avais encore à faire ? Hein ? L'amitié tu dis ?
Tout ça c'est de la merde, Henri. Ta vie c'est de la merde. T'es un flic, t'es de la merde. Parce que ACAB, tu vois.
Ouais, ACAB.
Mets-le dans ton cul ton ACAB de merde. Étouffe-toi avec ton idéologie moisie. La vie c'est pas des catégories dans lesquelles tu peux faire rentrer les individus comme ça, d'une pichenette, sans rien savoir d'où ils viennent ni rien. Penser sans penser, réagir d'un coup sec, d'un coup de pouce sur ton écran portable qui tient tout bien en place dans ta petite caboche fièreote.
Pis tu vois, Henri, toi et moi on continuera d'être personne et de pas faire de vagues, et crever comme les autres, dans toutes les cités du monde, dans tous les bidonvilles, les camps de réfugiés, les zones de relégation pour des corps inutiles, tout juste bons à faire des jolis sujets sur les chaînes d'info continue pour divertir... qui en fait ? Bah, on s'en fout.
En tout cas, putain c'que t'avais grandi et putain comment t'étais fit ta mère mon frère !
À un de ces quatres, mon ami. Ton sourire me manque parfois.
ACAB...
Contact: sed@free.fr
Created: Sun, 06 Jan 2019 15:54:19 +0100
Last update: Sun, 06 Jan 2019 15:54:19 +0100
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