Le logiciel libre naît d'une réflexion sur la nature d'un logiciel. D'aucuns vendent du logiciel, en tirant même des profits considérables. La diffusion libre et gratuite d'un logiciel n'a pas pour but le profit. La gratuité du logiciel en est la preuve. Quant à la liberté de le copier, modifier, intégrer dans d'autres projets, c'est clairement une attitude née du désir de partager ses savoirs et ses réalisations avec tous les autres humains.
Une question se pose cependant : faut-il distribuer un logiciel libre sous une licence ou bien le considérer comme du domaine public ?
Aujourd'hui, la plupart des logiciels libres sont diffusés sous licence.
En ce qui me concerne je penche pour l'alternative du domaine public. Je ne
pense pas qu'il soit une bonne chose de diffuser un logiciel libre sous une
licence, quelle qu'elle soit.
Le principe d'une licence, quelle que soit sa nature, quelque permissive
qu'elle soit, est d'ordre légal, législatif. Une licence n'est rien sans
une justice qui impose (oui, impose) aux individus à respecter ses termes.
Et cette justice, pour imposer ses décisions, a besoin d'une force, la police.
Donc, diffuser un logiciel, même libre, sous licence, suppose l'existence
d'une justice et d'une police. Dans ces conditions, peut-on encore oser
employer le terme de logiciel libre ? Quelque chose qui pour exister nécessite
des lois, des magistrat, un corps exécutif, peut-il se prévaloir de l'attribut
de liberté ?
Je ne pense pas.
La loi n'est pas quelque chose de bon. La loi positive, la loi votée dans des
parlements ou dictée par une autorité plus forte, de nature dictatoriale par
exemple, ou pire, divine (alors qu'il est évident qu'il n'existe aucun dieu),
n'est pas une bonne chose.
Cette société qu'on nous impose, cette société capitaliste où des gens sont
riches et d'autres sont pauvres n'est pas une bonne chose. Et les lois sont
avant tout là pour protéger cette société, pour légitimer les inégalités
diverses dont elle se nourrit, puisque ces lois en sont issues, puisqu'elles
condamnent en priorité le vol et la contrefaçon, la copie illégale.
Prétendre se servir de l'arsenal judiciaire pour promouvoir la liberté du
logiciel est par conséquent, de par la nature du système judiciaire, de par
son utilité même, une absurdité.
J'irai même plus loin. Diffuser un logiciel selon une licence, quelque
permissive qu'elle soit, est en désaccord profond avec l'idée de logiciel
libre. Le logiciel est alors tout ce que l'on veut sauf libre. Le seul
logiciel libre qui se conçoive est le logiciel du domaine public. Ce logiciel
n'a pas besoin de loi pour protéger sa liberté. Il n'a pas besoin d'une police
ni d'une justice, de tout un système répressif. Il est véritablement et
totalement, complètement libre.
Dès lors, je ne peux qu'encourager tous ceux et celles qui ont la volonté de promouvoir le logiciel libre de le libérer de toutes ses chaînes, de le libérer des lois, de la justice, de la police, et de le diffuser dans le domaine public.
L'objection à la diffusion dans le domaine public pourrait être la suivante.
Puisque du domaine public, n'importe-qui pourrait piller notre logiciel,
s'en rendre propriétaire et interdire à quiconque de l'utiliser, modifier,
améliorer, intégrer dans d'autres projets sans signer d'accord avec le nouveau
propriétaire, sans respecter les termes d'une licence qu'il aurait pu
imposer au logiciel. À cela je réponds que quelqu'un qui veut se rendre
propriétaire d'un logiciel du domaine public peut toujours le faire si ça
l'amuse. En ce qui me concerne, je continuerai de considérer ce logiciel, ou
tout dérivé de ce logiciel, comme étant du domaine public. Ne reconnaissant pas
de validité au système judiciaire, il m'est égal que quelqu'un prétende en être
le propriétaire et prétende m'interdire la liberté d'utiliser, de copier ou de
modifier ce logiciel.
Et j'irai, là encore, plus loin. Je dirai que tout logiciel, de par sa
facilité intrinsèque à se dupliquer, est à considérer comme quelque chose du
domaine public. Il n'y a pas de gêne à avoir à copier, diffuser, modifier
tout logiciel, quel qu'il soit.
Pour ceux qui vivent dans cette société et sont contents d'y
vivre, qui en profitent, qui sont riches en un mot, ces paroles sont bien sûr
choquantes et provocantes. Mais pour quelqu'un qui veut vivre en être humain
libre et égal à tous les autres, pour qui le savoir n'est pas une marchandise,
pour qui il n'y a pas de marchandise du tout, tout étant à tout le monde, dans
l'égalité la plus stricte, qui pense qu'il est absolument anormal que des êtres
humains soient condamnés à la misère quand d'autres s'empiffrent de richesses,
alors pour celui ou celle-là, ces paroles sont tout à fait et parfaitement
normales et naturelles.
Certes, on dira tout de suite que c'est là une vision irréelle des choses.
Mais c'est justement parce qu'on le dit qu'elle l'est. Si l'on décidait que la
norme était une société de solidarité et d'entraide, comme cela devrait être,
eh bien cette irréalité n'existerait plus.
On pourrait aussi considérer que tout le monde est d'accord sur ce point,
sur le fait que le capitalisme est une mauvaise chose, mais que, puisque doté
de la force des armées et des polices d'une part, et de tout un arsenal
judiciaire d'autre part, justifiant son existence, le protégeant de toute
volonté de vie libre et autonome, il faille le modifier en douceur, justement à
cause de l'armée et de la justice qui pourraient réprimer facilement toute
tentative de rébellion contre leur ordre inique et injuste.
C'est là bien faible argument, argument de la peur et de la soumission, que
je ne puis recevoir. La réforme est un non-sens quand on parle du capitalisme.
Le capitalisme est à abattre, un point c'est tout.
Non, je vous le dis : copions, diffusons, modifions, intégrons des parties
d'autres logiciels dans nos productions, n'ayons peur d'aucune loi, osons !
La raison est de notre côté. La loi ne protège que les riches contre les
pauvres et leur désir d'égalité ; elle justifie les inégalités. Et vis-à-vis
du logiciel, c'est criant. Comment justifier l'interdiction de copier un
logiciel quand ça ne coûte rien à personne ? Que je sache, personne n'est
jamais mort de faim à cause d'une copie de logiciel ; copier un logiciel ne
nécessite pas non plus d'esclave qui se tuerait à cette tâche.
Ah, je l'entends d'ici cet argument qui semble fatal : quelqu'un a travaillé
pour que ce logiciel existe, il est normal de respecter son travail et il est
normal qu'il ou elle en vive. Certes, c'est tout à fait normal. Je n'ai jamais
dit qu'il faille qu'un programmeur ou une programmeuse vive dans la misère et
la déchéance à cause que l'on pillerait son travail. Mais que je sache aussi,
quand on copie un logiciel, la pomme de terre que le créateur du logiciel
mange ne lui est pas retirée. En copiant, on ne vole rien. En fait, on crée
même plus de richesse, en un sens, puisqu'une copie supplémentaire du programme
existe.
Il est donc clair que cet argument n'a pas de sens. C'est le
contexte social qui lui en donne un. C'est le fait de vivre dans une société
marchande, capitaliste, qui lui donne son sens. C'est le fait de considérer
toute chose, ou peu s'en faut, comme marchandise, qui peut faire dire à certains
que copier un logiciel lèse quelqu'un, ce qui est absurde, comme je viens de le
montrer.
Et la même chose vaut pour le débat actuel autour du mp3 et de la musique.
Copier de la musique, comme je le fais (en ce moment précis j'écoute une
musique au format mp3, une musique diffusée sous droits de copie précis qui
interdisent strictement que je l'écoute dans les conditions dans lesquelles je
le fais ; je suis dans l'illégalité la plus complète), est parfaitement sain et
normal. Ça ne gêne personne (sinon les voisins qui pourraient penser que
j'écoute une musique bruyante, mais là n'est pas le propos).
C'est cette société, qui impose le travail et ne permet aux individus à
profiter pleinement des richesses qu'à la condition qu'ils travaillent, qu'ils
vendent ce qu'ils fabriquent (ou qu'ils se vendent eux-mêmes), qui justifie
l'interdiction de copie. Il est clair que dans cette société, copier librement
un logiciel ou une musique est inconcevable. Il est clair qu'on lèse les auteurs
et les créateurs, puisqu'ils n'ont que cela pour vivre, vendre leur logiciel
ou leur musique.
Mais qu'on ne vienne pas m'opposer des justifications morales là où il n'y
a que l'intérêt et le profit, choses horribles, qui soient en jeu !
Donc, pour en finir avec ce texte, le logiciel libre n'a pas besoin de
licence, de quelque nature qu'elle soit ; toute licence est contraire au
principe de logiciel libre. Tout logiciel doit même être considéré comme
libre. Prétendre le contraire ne se conçoit que si l'on accepte une société,
la nôtre en l'occurence, basée sur les inégalités, une société où les richesses
ne sont pas réparties entre tous les humains, une société où l'on doive vendre
ou se vendre. Je ne l'accepte pas. À chacun maintenant de choisir son camp. Si
vous arrivez à dormir en paix avec votre conscience tout en respectant cette
société pourrie, c'est votre problème, pas le mien.
Et dans le cas contraire, j'espère aussi que vous ne restez pas seul, dans
votre coin, mais que vous essayez, comme moi et d'autres, de transformer les
choses, de proposer un autre type d'organisation sociale. Car ne pas être
d'accord mais rester chez soi, tranquille, revient en fin de compte à accepter
quand même. Pour les tenants de l'ordre social actuel, il n'y a pas de
différence.
Que chacun se positionne comme il l'entende.
Et que vive le logiciel libre !
Contact: sed@free.fr
Date de création : pas loin de décembre 1999
Dernière modification:
Wed, 09 Apr 2008 10:34:20 +0200
Page générée par un cerveau humain. La meilleure façon de la regarder est d'utiliser vos yeux (ou vos doigts si vous êtes aveugle).
freesoft.txt est le fichier original
d'où dérive cette page.
(C'est un fichier formatté en troff, freesoft.ps
est le résultat de "groff freesoft.txt > freesoft.ps").